Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Territoires contemporains


Espaces, territoires et identités : jeux d’acteurs et manières d’habiter
Le fait culturel et patrimonial dans la ville contemporaine : entre mythes mobilisateurs et recherche de nouvelles urbanités
Alain Chenevez
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RÉSUMÉ
Les faits culturels et patrimoniaux impactent depuis plusieurs décennies l’aménagement urbain contemporain des métropoles. Des villes de taille plus modeste s’emparent également de ce mouvement de valorisation des ressources culturelles locales pour se singulariser, créer de l’attractivité et résister à la déprise économique et sociale.
MOTS-CLÉS
Mots-clés : ville contemporaine ; patrimoine ; urbain ; culture ; enrichissement ; enchantement ; imaginaire
Index géographique : France ; Lyon ; quartier de Confluence
Index historique : xxie siècle
SOMMAIRE
I.Introduction
II. Lyon-Confluence : entre oubli et enchantement
1) Ignorer le passé besogneux
2) Idéaliser le futur
3) Marquer symboliquement le territoire
III. Autun : ressources patrimoniales et politiques publiques
1) Contrer le déclin économique et démographique
2) Rendre la ville attractive par son patrimoine
3) Sensibiliser touristes et habitants
IV. Conclusion et perspectives

TEXTE

I. Introduction

Pour se développer et asseoir leur « image », les grandes villes françaises, depuis plusieurs décennies, misent sur le marketing territorial et la culture [1]. Cela se matérialise par des politiques publiques et la création d’établissements associés tels le Musée des Confluences à Lyon, le Centre-Pompidou à Metz, le Mucem à Marseille, la Cité du Vin à Bordeaux ou encore la Cité internationale de la gastronomie et du vin [2] à Dijon. Culture et patrimoine sont des valeurs qui comptent dans la ville contemporaine. Les labels de « Capitale européenne de la culture » ou « Capitale française de la culture », deviennent un atout précieux dans le storytelling des villes. Ainsi Villeurbanne est depuis le 1er janvier 2022 et pour un an, la première ville nommée « Capitale française de la culture ».

En ce début du xxie siècle, la grande ville européenne en général et française en particulier est relativement esthétisée, avec des édiles soucieux de valoriser les « ressources locales », par exemple les architectures anciennes, les « traditions », les éléments naturels, loin du Mouvement moderne et des perspectives fonctionnalistes du début du xxe siècle. L’utilisation de la culture pour assurer un développement local ne date cependant pas d’hier [3], mais sa marchandisation s’est renforcée. Depuis bientôt trente ans, les politiques qui accompagnent la mise en valeur des agglomérats urbains métropolitains sont moins liées à la démocratisation culturelle, qu’à une démarche de développement de « marchandises émotionnelles [4] », enrichissant les patrimoines capables d’attirer des touristes, des investisseurs et avant tout un public diplômé et individualisé. Nous assistons sur ce point à des formes de spectacularisation ou de valorisation patrimoniale performative où le musée est notamment perçu comme un totem de transformation, à l’exemple de celui des Confluences, « point d’orgue » de l’aménagement du nouveau quartier de Lyon-Confluence présenté dans la première partie de cet article [5].

Les villes de 10 000 à 100 000 habitants cherchent aussi à se singulariser pour résister à la déprise induite non seulement par l’attractivité croissante des métropoles, mais encore par la périurbanisation des activités et des habitats. Concurrencées de plein fouet par les processus de métropolisation, ayant tendance à concentrer richesses et spectacles vivants dans les grandes villes, certaines tentent d’inventer de nouvelles formes de valorisation en s’appuyant sur les atouts locaux pour redynamiser les centres-bourgs, soutenir la production de logements, de commerces de qualité ou de lieux culturels [6]. Le champ du patrimoine, les monuments et musées, les centres-villes historiques deviennent parfois des emblèmes d’authenticité mettant en avant une « urbanité retrouvée », basée sur la proximité, la convivialité et les échanges. Dans une seconde partie, c’est l’exemple d’une ville bourguignonne, Autun, en déprise industrielle, commerciale et démographique qui m’offre la possibilité d’exposer comment la question patrimoniale se développe et tente de transformer les « imaginaires » urbains.

II. Lyon-Confluence : entre oubli et enchantement

Depuis le milieu des années 2000, la prospérité de la ville de Lyon s’est notamment concrétisée à travers l’ambitieux programme urbain Lyon-Confluence. Ce projet d’aménagement sans précédent a revalorisé l’ancien secteur industriel et fonctionnel de 150 hectares, situé au sud de la presqu’île lyonnaise, précédemment nommé Perrache. Une vision urbaine volontariste a eu pour dessein de transformer cette portion de ville, déconsidérée dans le sens commun, car quartier besogneux, fonctionnel et enclavé, ceint d’une autoroute à l’Est, de deux prisons et d’une gare au Nord, équipé d’un ancien port de marchandises, d’un marché de gros et d’habitations à bon marché, appelées HBM, pour loger les ouvriers. Au-delà de la réhabilitation d’un territoire urbain, il s’agissait également de contribuer à donner une dimension nationale et internationale à Lyon.

1) Ignorer le passé besogneux

Ainsi les concepteurs, urbanistes, élus et paysagistes ont trouvé dans ce quartier en déshérence, abritant une prostitution endémique, un terrain propice à la mutation d’anciens espaces industriels et fonctionnels obsolètes en architectures contemporaines. Le quartier vieillissant est devenu le lieu favorable à la création de la ville écologique, intelligente. En transformant les images et les imaginaires d’un espace jugé caduque, les acteurs de ce changement ont fait émerger la métropole internationale de demain en utilisant la rhétorique de la durabilité et de la performance énergétique. Une multitude d’acteurs, promoteurs, habitants ou encore touristes collaborent et composent peu à peu des « mythes mobilisateurs » partagés.

Hôtel de Région, Pôle de commerces et de loisirs, inspirés par le post-modernisme [7], sortent de terre. Des bâtiments aux architectures audacieuses s’élèvent et abritent entreprises de communication, logements, bars et restaurants branchés. Un musée totémique est érigé à l’extrémité sud du quartier. L’ensemble façonne l’idée d’un modèle urbain lié à l’esthétisation des espaces publics, enchâssé aux entreprises de la nouvelle économie de l’information, de la communication et de la culture. Alors que le mot « patrimoine » surgit dans les éléments de communication de la Société d’économie mixte Lyon-Confluence [8], quels bâtiments conserver ou détruire et selon quels objectifs contemporains ? Quels éléments matériels ou immatériels retenir ?

Le programme des aménageurs témoigne peu de la mémoire ouvrière et industrielle, ou de l’histoire urbaine de ce quartier depuis le xixsiècle. Il s’agit avant tout d’écrire une page relativement nouvelle, par une sorte d’effacement de la mémoire des lieux. Le passé est donc ici mis à distance, plus encore déconsidéré, comme une réalité à oublier et à dépasser. Ainsi, par exemple, les références au monde des cheminots ou des populations issues de l’immigration, très présentes sur le quartier ne sont pas questionnées. Pourtant en septembre 2000, le comité de pilotage de l’inventaire topographique de la ville de Lyon a désigné Perrache comme un quartier prioritaire d’étude, face au risque de disparition d’une partie de la mémoire locale et du remaniement de l’habitat à connotation populaire. Une campagne d’inventaire a été réalisée par les services régionaux du patrimoine et a donné lieu à une publication [9]. Mais dans le même temps, d’anciens bâtiments industriels inutilisés ont été détruits dans une indifférence quasi-totale.

L’aménagement du nouveau quartier a pris dès le départ une dimension culturelle et les quelques éléments conservés sur l’ancien port Rambaud ont eu pour but d’inscrire l’ensemble dans un passé réactualisé et esthétisé. Un ancien bâtiment destiné au stockage du sucre, offrant d’utiles opportunités de reconversion, a été restauré et renommé La Sucrière. Rapidement, il est devenu un lieu emblématique de la Biennale d’art contemporain et du Festival de musiques électroniques Les nuits sonores.


Figure 1 Vue générale de la Sucrière
SOURCE : Nicolas Robin

Les bâtiments de l’ancienne capitainerie construite en 1926 et du service des douanes, érigé en 1930, ont aussi été requalifiés pour accueillir des agences de communication, des galeries d’art contemporain, des bureaux et des restaurants. Un ancien hangar de stockage de sel a, quant à lui, été transformé en restaurant haut de gamme. Aujourd’hui, ces lieux réhabilités côtoient d’anciennes grues de levage rénovées et conservées en bord de Saône. De nouvelles constructions, portées par des architectes de renom, abritent des hôtels confortables, des sociétés audiovisuelles et événementielles d’envergure internationale, à l’instar du Cube vert, réalisé par l’agence d’architecture Jakob + MacFarlane, qui abrite la chaîne de télévision européenne, Euronews. Les formes sont originales et colorées, les matériaux utilisés sont présentés comme durables et innovants. Enfin, au nord du quartier, les anciennes prisons d’arrêt pour hommes, Saint-Joseph construite en 1830 et Saint-Paul en 1865, ont été quasiment détruites, à l’exception de quelques éléments qui singularisant les lieux, conservés et rénovés par les architectes Garbit & Blondeau, le studio Ory et l’urbaniste Thierry Roche. Le site accueille désormais l’Université catholique de Lyon.

2) Idéaliser le futur

Très vite, le mot patrimoine est apparu et s’est intégré aux propos très modernistes des concepteurs du programme urbain sur la durabilité, la mixité sociale et les usages, la rupture et l’avant-garde architecturale. Pour autant, dans ce secteur, aucun bâtiment n’est classé au titre des Monuments historiques ou ne bénéficie d’un label provenant d’une administration publique. Mais comme le mentionne le site Internet de la Société d’économie mixte Lyon-Confluence en 2010 :

Les activités industrielles, du marché d’intérêt national au port fluvial, toutes ont légué à la Confluence un patrimoine bien spécifique. Un patrimoine également marqué par la présence de deux prisons. Dans son renouveau, le quartier a pris soin de préserver son histoire [10].

Le propos patrimonial n’est pas porté ici par des mesures de protection liées à une dimension scientifique et accompagnées par un corpus spécifique. Il est approprié, encadré et justifié par les acteurs de l’aménagement urbain et masque de nombreuses destructions jugées utiles ou nécessaires. Les éléments conservés deviennent une trace dans un décor, avant tout destinés à offrir une sorte « d’utopie urbaine », emplie d’un futur idéalisé. L’objectif n’est pas ici de transmettre une mémoire ou des images du passé, mais au contraire de les mettre à distance pour s’inscrire dans une perspective dépassant le déclin.

Les formes de communication employées sont multiples depuis quinze ans, site internet, publications sous formes de plaquettes, reportages télévisuels, articles de presse. Ces récits médiatiques créent un potentiel fantasmagorique, dont l’objectif stratégique est d’influencer les comportements des investisseurs mais aussi des futurs habitants ou touristes. Tous semblent conquis, puisque le discours officiel de la SEM Lyon-Confluence présente le nouveau quartier comme qualifié et qualifiant socialement pour chacun. Architectures étonnantes et contemporaines sont autant d’indications essentielles afin de suggestionner aux acquéreurs privés le caractère valorisé et distinctif de leur investissement matériel et immatériel. Tout ce qui qualifie la modernité urbaine est mis en avant, la qualité de vie retrouvée, la philosophie du partage et du libre accès – vélos et automobiles en libre-service, jardins et espaces communs – les paysages composés de trames vertes, les ambiances sensorielles, les éclairages colorés et tamisés.

Les récits communicationnels autour du projet Confluence sont un processus de remplacement d’un imaginaire non légitime, non reconnu, non verbalisé, celui des ouvriers, des cheminots, par des récits sélectifs et performatifs diffusant dans le corps social l’imaginaire d’un avenir rêvé, créatif et innovant. Une phase que je qualifie ici de « déterritorialisation – reterritorialisation [11] » permettant l’actualisation de l’image du quartier et de ses imaginaires. Ainsi, déterritorialiser, consiste à défaire un agencement de relations reliant des habitants avec leur environnement immédiat. Mais reterritorialiser, c’est faire territoire, c’est-à-dire créer de nouvelles relations reliant des individus, des habitants, des touristes avec un espace défini et le qualifier par des actions et énonciations singulières. Les images besogneuses et populaires du quartier sont ainsi lentement désenchevêtrées et remplacées par des représentations, mais aussi des perceptions valorisantes, comme celle de résider ou de fréquenter un lieu attractif et innovant. Les « attaches » reliant les résidents à leur environnement immédiat sont remplacées par de nouvelles perspectives et un récit expressif, portés par la puissance publique et les aménageurs, plus adaptés probablement à des configurations urbaines désormais inclusives des diversités culturelles et consuméristes.

3) Marquer symboliquement le territoire

Situé à l’extrémité sud de la presqu’île, le musée des Confluences imprime l’espace public et crée tout autant le territoire. C’est un musée d’histoire naturelle, d’anthropologie, des sociétés et des civilisations. Après de nombreux déboires techniques, il est inauguré le 20 décembre 2014. Seul, entre Rhône et Saône, presque au milieu de l’eau, il est dès sa fondation considéré comme une forme essentielle pour qualifier la ville. Le Département du Rhône a sélectionné une agence d’architecture de réputation internationale Coop Himmelblau. Cette dernière imagine un programme architectural monumental The Crystal cloud of knowledge susceptible de créer une sorte de « choc esthétique ». Ce geste performatif est un nouvel enjeu pour le musée, qui dépasse désormais sa qualité culturelle et éducative, pour porter l’aménagement urbain, en devenant à terme un totem bienveillant. À Confluence, il symbolise la transformation radicale du quartier. Point d’entrée sud de la ville de Lyon, il doit souligner par sa qualité et son audace architecturale le caractère évident de métropolisation en cours de l’agglomération.


Figure 2 Musée des Confluences, Lyon
© Konrad K. / SIPA

Par conséquent, j’envisage la ville et ses transformations comme le fruit d’imaginaires et d’images où la question culturelle et patrimoniale, ici en l’occurrence la figure tutélaire du grand musée, devient une valeur mobilisatrice pour agir et transformer favorablement l’urbain. La structure physique du musée des Confluences devient emblème et spectacle urbain. Sa disposition grandiloquente est faite pour interroger mais aussi pour inscrire le quartier au-delà du banal et du quotidien. C’est un signe fort pour représenter l’avenir souhaité du quartier. Ce n’est pas uniquement une inscription dans une économie globalisée, mais aussi dans une vision culturelle permettant de se projeter dans le futur avec une assise de significations et un ancrage de vertus éducatives et de connaissances propres à notre modernité. De nos jours, les musées remplacent les cathédrales dans leur capacité à singulariser les villes. Ils deviennent des marqueurs symboliques puissants, souligne l’anthropologue Paul Rasse [12]. Par sa monumentalité, le musée des Confluences remplit une fonction semblable aux édifices religieux ou de pouvoir. En s’inscrivant dans une dimension monumentale, il devient légendaire et se tient à distance de la vie quotidienne du quartier et de ses urbanités sociales locales immatérielles. Il contribue de manière remarquable à la reterritorialisation créative et culturelle du quartier de Confluence, à une mythologie territoriale.

Ainsi, depuis une vingtaine d’années, élus, professionnels de l’aménagement, promoteurs immobiliers et nouveaux habitants font de cet ancien quartier industriel un territoire contemporain d’exception. Ils détruisent, rénovent, composent et réalisent des logements, des espaces commerciaux, des lieux de loisirs et des espaces publics, essaient de créer de la mixité sociale et fonctionnelle, agissent telle une « coalition de croissance ». En somme, pour inciter chacun à s’installer et consommer dans un quartier jusqu’alors mal considéré, il est nécessaire de créer des mythes mobilisateurs et de gagner l’adhésion d’investisseurs publics et privés. Malgré la conservation de quelques traces du passé, ces acteurs composent donc une ville relativement normée et stéréotypée, qui s’accompagne de récits sélectifs destinés à enchanter. Les dispositifs d’attractivité, de mobilité, de sécurité, mais aussi d’habitations contemporaines, priment : écoresponsabilité, végétalisation et déplacement doux, esthétisation des architectures et des espaces publics, mais aussi vidéosurveillance, ville intelligente, connectée, écologique, responsable et créative. Une mise en récit et en fiction de la ville, qui s’appuie en partie sur l’oubli, la ville ouvrière et fonctionnelle a disparu. Le processus de transformation/valorisation produit de nouveaux affects et de nouvelles images, dont les architectures innovantes et spectaculaires, au profit de la rentabilité foncière. Les effets créés s’appuient sur des discours sélectifs et les récits émis par les aménageurs sont des activités performatives. Elles reposent sur des perspectives souhaitées, mais qui finissent par être socialement établies en tant que réalités. Le processus d’aménagement de Confluence prend appui sur des « croyances » partagées, c’est-à-dire en partie sur des représentations collectives, encadrant des schémas d’interprétation de la réalité physique et des comportements individuels. Confluence devient un quartier « d’exception » et existe comme tel, parce que nous le disons, nous le répétons et nous finissons par le croire au regard des investissements pluriels observés. Dès lors, de manière performative s’inscrit une reconnaissance collective où chacun apporte sa pierre à l’édifice, que ce soit les investisseurs immobiliers ou les usagers du centre de commerces et de loisirs par exemple.

Par conséquent, au lieu de considérer que le territoire Confluence naît de la mémoire, j’envisage le contraire, c’est-à-dire que les formes mémorielles sont au final une conséquence du processus institutionnel de fabrique urbaine. Aborder la construction politique du territoire permet d’observer, au-delà de chaque individu, comment se constitue le quartier à travers des récits communicationnels, mais aussi les éléments matériels comme une architecture contemporaine ou un réinvestissement d’éléments topographiques. La fabrication de la valeur urbaine dépend en partie de catégories sociales qui interviennent directement sur le cadre. Une métropole doit s’inventer et le passé ré-enchanté est une ressource importante.

Toutefois, dans le cadre de Lyon-Confluence, l’objectif est de créer une ville principalement tournée vers les catégories sociales créatives, entrepreneuriales ou consuméristes. Depuis quelques décennies, les élites se sont tournées vers l’international et les métropoles tendent à se ressembler. Les attachements locaux et populaires ne semblent plus les intéresser, une situation peut-être en train de changer avec le mouvement des Gilets jaunes et la crise sanitaire du Covid en cours. Cela étant, le programme urbain Lyon-Confluence euphémise l’expulsion des catégories populaires des quartiers centraux et les formes de ségrégation urbaine. Avec la tertiarisation de l’économie et la valorisation des activités culturelles et patrimoniales, les métiers accessibles aux classes populaires ne sont plus les mêmes que pour les générations précédentes sur ce territoire [13]. Dès lors, il apparaît pertinent de s’interroger sur les nouvelles formes d’attachement que les différentes catégories sociales établissent avec ce récent quartier. Comment s’adaptent-elles dans leur diversité ? Quels nouveaux imaginaires créent-elles ? Comment et quels habitants s’approprient les « nouveaux territoires de la ville », au-delà des discours des aménageurs et des autorités publiques ?

III. Autun : ressources patrimoniales et politiques publiques

1) Contrer le déclin économique et démographique

À Autun, commune de presque 15 000 habitants, située dans le département de Saône-et-Loire, en région Bourgogne-Franche-Comté, l’intention des élus est de prendre appui sur le passé, en l’occurrence l’architecture, les atouts gallo-romains, médiévaux, mais aussi la nature, pour redynamiser la cité. « Ville ou campagne ? Les deux c’est mieux » est le slogan affiché par l’Office du tourisme et la municipalité pour valoriser cette petite ville située au pied du massif du Morvan. Pour contrer le déclin démographique touchant la commune depuis les années 1980, un ambitieux projet de développement du Musée Rolin est en cours, ainsi que celui d’un Centre d’interprétation attaché au secteur historique sauvegardé de la ville, l’Espace Gislebertus - destination Autun (CIAP). Le principe pour les élus en charge du dossier est de créer une dynamique de croissance économique, ce qui passe par le renforcement de l’image culturelle de la ville. Dans de nombreuses communes en Bourgogne-Franche-Comté telles que Chalon-sur-Saône, Beaune ou encore Le Creusot, la mise en valeur des « atouts » présents dans les villes, fait l’objet d’un investissement politique renouvelé ces dernières années. Ce sont ainsi par exemple, l’inscription sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco de la citadelle de Besançon en 2008 ou celle des Climats de Bourgogne en 2015, les rénovations des musées des Beaux-Arts à Besançon et Dijon. Dans cette capitale régionale, en avril 2022, la Cité de la gastronomie et du vin ouvrira ses portes, avec pour objectif particulier, de valoriser « le repas gastronomique des Français », inscrit au patrimoine immatériel de l’humanité [14]. Quant à la ville de Beaune, elle développe actuellement un lieu de référence, une Cité des climats et vins de Bourgogne, afin de mieux faire connaître le modèle de viticulture du terroir bourguignon. C’est là, tout un ensemble non exhaustif de stratégies de valorisation des ressources locales devenues patrimoine, dans une perspective politique de développement social et économique.  

En 2018, suite à une demande de la municipalité, j’ai débuté à Autun une recherche-étude qui porte, d’une part sur les publics des lieux culturels de la commune et d’autre part, sur la perception de ces institutions par les populations locales. Une récente équipe municipale souhaite contrer le déclin démographique, mais aussi commercial du centre-ville. En effet, à Autun, comme dans de nombreuses communes de petites et moyennes importances, habitats et activités commerciales ou logistiques s’installent de manière croissante depuis les années 1980 dans le périurbain. À la recherche de davantage de place, de loyers plus modérés et/ou d’une sociologie d’entre soi, avec à l’esprit le rêve de la maison individuelle, de nombreux citadins, appartenant aux classes moyennes, ont quitté la ville centre pour des formes de vie plus individuelles et jardinées, moins confrontées à la diversité sociale [15]. En périphérie des villes, d’attractifs centres commerciaux, hangars climatisés de conception relativement standardisée, permettent à ces habitants de se ravitailler et de consommer. Parfois esthétisés ou singularisés, ils offrent une variété de produits, sont accessibles facilement en voiture et proposent un stationnement gratuit. Zones commerciales, zones pavillonnaires et villages réinvestis construisent de nouveaux paysages de la mondialisation où les usines disparaissent et laissent la place à des centres logistiques pour assurer la livraison des produits dans les centres commerciaux et à domicile. Dans ce contexte, comment donner l’envie à des populations de s’installer dans les centres urbains ? Quelles activités développer pour améliorer l’attractivité des cœurs de villes et assurer la durabilité de leurs éléments matériels, comme les bâtiments anciens, les logements et autres architectures spécifiques ?

Le centre de la ville d’Autun garde de nombreuses traces de son passé de cité romaine et médiévale. Fondée par les Romains, Augustodunum a remplacé la ville gauloise de Bibracte aux alentours de 15 avant J.-C. Elle est devenue une cité importante et a prospéré aux époques médiévale et moderne. Puis elle a connu une démographie relativement stable et, au cours du xxe siècle, une période d’industrialisation avec, par exemple, l’installation d’entreprises comme DIM ou Nexans. Mais depuis la fin du siècle dernier, la commune subit un lent processus de désindustrialisation parallèlement à une baisse démographique et commerciale de la ville centre. Le discours commun parle d’une cité désormais un peu isolée, en dehors des flux autoroutiers ou ferroviaires. Un de ses grands enjeux est de renforcer les zones centrales en s’appuyant sur le patrimoine de la ville, jugé trop faiblement valorisé et exploité. Il s’agit de faire émerger des emblèmes générateurs, d’identifiables « locomotives » d’une politique volontariste. Ainsi, sont en cours un vaste programme de rénovation et d’extension du musée municipal Rolin et le développement du récent Centre d’interprétation (CIAP). Le tout est accompagné d’une politique culturelle générale, mettant en place des partenariats avec le Musée du Louvre et la création de festivals associés, par exemple dans le champ du spectacle vivant, le Festival historique Augustodunum ou le Festival du journalisme vivant.

2) Rendre la ville attractive par son patrimoine

Après des années de désindustrialisation et dans un contexte d’économie mondialisée, l’univers politique local se trouve la plupart du temps démuni. Les actions culturelles et patrimoniales associées à l’aménagement urbain resteraient les derniers « espaces » possibles de pouvoir. Ils offriraient l’occasion aux responsables territoriaux de lier développement et singularité, économie et esthétique. La question touristique et l’implication des habitants dans le cadre de vie s’imposeraient dans les consciences des édiles comme des leviers pour renforcer l’attraction de la ville d’Autun.


Figure 3 Hauts quartiers d’Autun
© Alain Chenevez

Les projets de valorisation patrimoniale à Autun ne sont pas totalement inédits. Dès 1992, la ville a intégré le réseau national « Ville et Pays d’art et d’histoire », afin d’acquérir une légitimité grâce aux acteurs des politiques publiques du patrimoine [16]. Ce label qualifie les communes engagées dans une politique de sensibilisation au patrimoine, à l’architecture, mais plus globalement à l’amélioration du cadre de vie. Un des critères est de s’appuyer sur la culture et les « atouts » du passé pour favoriser un projet d’essor global. Il faut définir un périmètre d’intérêt à partir d’éléments de cohérence historique, géographique, démographique et culturelle. C’est ainsi que la ville révise son plan de sauvegarde et de mise en valeur en 2009, en délimitant une zone dite « site patrimonial remarquable », de soixante-quatorze hectares. Ce périmètre englobe une bonne partie de la ville romaine, le secteur historique et les alentours de la cathédrale Saint-Lazare sur les hauteurs de la commune. Il correspond peu ou prou à la ville du xvie siècle. Une bande non bâtie au pied des remparts est également incluse dans l’aire définie. Par contre, les aspects plus récents, les anciens bâtiments industriels et les nouveaux quartiers ne sont pas pris en compte dans ce programme de conservation et de valorisation.

Le projet actuel se concentre sur le Grand Rolin. C’est principalement un programme d’extension et de rénovation du musée municipal, situé au cœur de la zone de valorisation. Implanté sur la partie haute de la ville, à quelques dizaines de mètres de la cathédrale Saint-Lazare, ce musée de France en gestion municipale directe s’organise autour d’une vingtaine de salles disposées sur plusieurs niveaux. Ses collections sont riches et variées, composées d’artefacts d’archéologie gallo-romaine, d’art médiéval, mais aussi d’histoire régionale. Nous y trouvons des arts décoratifs, des sculptures mais aussi des peintures françaises et européennes, du xviie au xxe siècles, sous forme de galeries de portraits et de tableaux historiques. La muséographie imaginée dans les années 1950 est principalement centrée sur les objets avec une présentation assez classique des œuvres aux cartels détaillés et prolixes. Un espace dédié permet la présentation chaque année d’une exposition temporaire, en collaboration avec le Musée du Louvre. Le service municipal de la conservation et du patrimoine pilote ce projet qui vise à proposer aux publics une muséographie innovante et « plus participative » et à ouvrir de nouveaux espaces en réhabilitant l’ancienne prison attenante.

3) Sensibiliser touristes et habitants

Les premiers résultats de ma recherche en cours, stoppée par la crise du Covid, soulignent des correspondances importantes entre les publics du Musée Rolin et de l’espace Gislebertus – Destination Autun (CIAP). Dans les deux cas, les visiteurs sont extérieurs à la commune, principalement originaires de région parisienne, instruits et plutôt âgés. Ces touristes restent peu de temps dans la ville. Ils recherchent à Autun une ambiance, des images et imaginaires particuliers liés au passé gallo-romain et médiéval de la ville, plus globalement à l’histoire, à l’architecture, parfois à la religion. Souvent diplômés en histoire de l’art ou plus généralement en sciences humaines, ces publics possèdent des « prérequis » et sont soucieux de pratiquer un tourisme culturel. La ville d’Autun et ses richesses patrimoniales font partie, selon eux, d’un circuit touristique plus large en région Bourgogne-Franche-Comté, comprenant des villes comme Dijon, Beaune, Chalon-sur-Saône et le site archéologique de Bibracte ou des espaces naturels comme le Parc naturel régional du Morvan tout proche. La compréhension des réseaux d’interdépendance en termes de fréquentation et de distribution des publics dans les différents sites régionaux reste à réaliser.

Les habitants interrogés, quant à eux, font plutôt partie de catégories socio-professionnelles plus populaires et n’ont pas le même profil en matière de pratiques culturelles. La ville est vieillissante, à Autun, 60 % des habitants ont plus de 45 ans. Les jeunes de 0 à 30 ans représentent un petit tiers de l’ensemble des Autunois. Ils expriment peu d’appétence pour la visite du Musée Rolin ou pour le CIAP. Ce dernier remplit parfaitement son rôle envers les touristes extérieurs à la ville en les engageant par des procédés de médiation faisant appel à l’émotion et l’immersion, à l’exemple du film 3D sur le tympan de la cathédrale Saint-Lazare. L’espace Gislebertus – Destination Autun est moins efficient dans sa mission d’implication d’un public local et socialement diversifié. Les habitants semblent moins concernés par la proposition culturelle et s’y engagent peu. Les Autunois rencontrés considèrent souvent ce lieu comme un « office du tourisme bis », plus particulièrement dédié aux personnes extérieures à l’agglomération.

Ainsi, les deux établissements culturels phares de la ville ont des publics proches, mais peinent à attirer les habitants. Le CIAP s’avère même inefficace en ce qui concerne la sensibilisation et l’inclusion des populations locales. Des études ultérieures analyseront les médiations et formes de muséographie plus modernes qui seront pensées et mises en œuvre pour pallier cette situation. Ces évolutions constituent un défi pour les institutions d’une culture muséographique et patrimoniale « classique ». Dans les prochaines années et avec le vieillissement du public, les lieux d’exposition liés au Beaux-Arts ou à l’Histoire ne seront plus assurés de posséder un auditoire dédié. Les techniques de médiation ou de marketing culturel ont, à cet égard, parfois moins pour but d’élargir l’audience des institutions muséographiques, que d’en assurer la survie en accentuant la surconsommation des publics habituels. Il sera sans nul doute utile d’interroger ces évolutions sur les territoires qui ne concentrent pas les catégories métropolitaines et créatives. Il sera fructueux de réfléchir à d’innovantes formes patrimoniales et muséographiques, peut-être plus inclusives ou participatives, dans le cadre de petites et moyennes agglomérations [17]. En ces dernières, la culture et le patrimoine doivent se réinventer afin de devenir des lieux de convivialité partagée [18], un « forum » organisant des configurations de discussions et d’échanges entre les groupes sociaux par exemple. Les évolutions en cours à Autun sont à observer afin de mieux appréhender des formes spécifiques d’action culturelle en élaboration et pour mener une réflexion sur la construction de communs [19].

Enfin, les touristes visitent rapidement les établissements culturels et les habitants s’adonnent plus volontiers à la marche, la flânerie, la promenade dans les rues de la ville, admirant une sorte de scène urbaine au cœur d’un espace naturel souvent « magnifié ». En dernière analyse, je souhaite découvrir comment les politiques publiques créent ou pas de nouvelles formes d’imaginaires susceptibles d’avoir des répercussions sur les comportements individuels. Autun n’est pas une ville touristique et patrimoniale imposée par une communication institutionnelle et intériorisée par des touristes et la population locale, comme dans le cas de Lyon-Confluence. Elle est le résultat d’une expérience quotidienne de confrontation avec l’ordinaire, par exemple sous forme de déambulation et d’appropriation d’autres espaces par les habitants.

IV. Conclusion et perspectives

Le cadre urbain, son architecture, ses traces du passé, ses matérialités semblent être les supports d’imaginaires partagés. Ils conditionneraient des perceptions sensibles et le cas échéant des principes supérieurs. En quoi ces impressions et discernements de la ville sont-ils légitimes ? Comment encadrent-ils l’expérience ordinaire de chacun ? Comment une matérialité urbaine produit-elle des images particulières ? Ce sont ces phénomènes que j’aspire à investiguer à travers des études de cas sur des villes de moins de 100 000 habitants afin de comprendre les liens entre formes urbaines, architectures, patrimoines et imaginaires. De Gaston Bachelard à Gilbert Durand et Michel Maffesoli, tous les auteurs traitant la problématique des imaginaires sociaux soulignent la liberté qu’ils accordent, leurs fonctions d’ouverture des esprits et de dépassement des conventions, de création, de plaisir, voire de ré-enchantement des mots et des choses. Mais les imaginaires ne sont pas de pures fantaisies. Dans la plupart des cas, ils forment un cadre et un support d’interprétation. Toutefois, ils font l’objet de critiques, d’appropriations voire d’enjeux politiques multiples. Pour mesurer les possibilités de singularisation d’une ville par exemple, il faut comprendre pourquoi certains discours et principes partagés fonctionnent et d’autres pas. Cela nécessite des recherches prenant en compte la matérialité des choses, l’agencement d’une ville, sa forme construite au cours des siècles. Le processus est dynamique et requiert de saisir les éléments et les ambiances, qui peuvent, plus que des établissements culturels, contribuer à qualifier un territoire, une ville et les populations associées. Il est évident qu’un discours patrimonial véhiculé par une institution comme le Musée Rolin, par exemple, a des chances d’affirmer une manière de regarder la ville et de se l’approprier. Mais, il est pertinent de prendre en compte les capacités discursives et performatives des individus, leurs regards critiques et la manière dont ils créent des relations avec la matérialité d’une ville. Cette démarche est essentielle pour mieux appréhender le rôle des imaginaires urbains dans la qualification patrimoniale. Elle implique de nouvelles recherches autour du lien qui unit les images, les architectures, les formes et les ambiances urbaines. La ville a toujours été un lieu où se créent, se déposent et circulent des signes, des valeurs et des expériences. C’est là, par les formes d’appropriation entre les humains et les architectures que se construisent, de manière privilégiée, le social et la culture.

Les expériences patrimoniales sont des faits sociaux utiles pour saisir les évolutions de la ville contemporaine. Elles permettent de comprendre la fabrication des singularités et des valeurs qui particularisent nos environnements mais aussi nos imaginaires. Le patrimoine révèle nos mythologies urbaines. Il est souvent perçu dans le discours commun comme un élément technique et dépolitisé. Il est au contraire pétri d’intérêts symboliques, sociaux et économiques. Il n’y a pas d’ontologie du patrimoine, c’est avant tout un outil, désormais utile à la singularisation des territoires et des populations qui y sont associées. Pour que le passé soit un amplificateur de valeurs [20] patrimoniales du présent, il faut que la temporalité ne soit pas perçue comme de la dégradation mais au contraire devienne, comme le diraient Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, une valeur de collection, plus encore une ressource [21]. Faute de quoi, il peut être considéré comme obsolète, caduque. Le patrimoine apparait ainsi comme un vecteur neutre et pourvu de sens différents selon les époques pour assurer la transmission des mots et des choses à travers le temps. Une ville fait souvent l’objet d’un travail valorisant sa longévité afin d’échapper à la dégradation du temps et de bénéficier d’une communauté d’appartenance.

Depuis le milieu des années 1980, nous sommes rentrés dans une nouvelle ère du patrimoine. Il n’est plus considéré comme une « charge » à sauvegarder, comme une propriété ou un bien transmis par nos ancêtres. Le patrimoine n’est plus seulement un dispositif juridique pour protéger les biens communs du marché et des spéculations pécuniaires ou un levier utile à l’éducation du citoyen ou encore à la construction du sentiment national. La culture en général et les patrimoines en particulier, matériels et immatériels, sont devenus des procédés efficaces pour créer des images, développer le tourisme, capter l’attention de nouvelles populations et générer du marketing territorial dans la nouvelle économie de l’enrichissement. L’ambition de nombreuses agglomérations, mais aussi de territoires administratifs, est de se singulariser, d’exister dans la compétition économique qui se joue à l’échelon national, européen et mondial. Distinguer « le territoire » et les villes par des récits sur le passé est devenu central pour retrouver du pouvoir et créer des mythes mobilisateurs afin de répondre par l’imaginaire à l’individualisation croissante de nos sociétés contemporaines et ainsi de renouer avec l’idée de communs. Au-delà de la production de marchandises et de l’organisation de la consommation, c’est une manière d’enrichir l’existant, ce qui n’est pas délocalisable, c’est-à-dire les architectures, les musées, les terroirs, mais aussi les sites naturels, les « traditions » et les coutumes.

De là, je pose l’hypothèse que dans une période de « faible croissance », telle que nous la vivons depuis une trentaine d’années, le patrimoine est devenu un outil de singularisation, utile à la qualification positive, à l’instar du développement de l’évènementiel culturel et artistique dans l’espace public. Il est opportun d’observer comment des acteurs sociaux, des groupes, des institutions, mais aussi des habitants produisent des récits et des dispositifs, des différenciations et des catégorisations, des valeurs d’authenticité voire d’esthétique et créent, par les images et les imaginaires, une rhétorique du bien commun, pour « enrichir » et prendre soin des artefacts matériels et immatériels constitutifs de l’urbain.

Les études sur les petites et moyennes villes, peu nombreuses, seront sans doute amenées à se développer. Car à ce jour, les regards des chercheurs se sont plutôt tournés vers les grandes villes estimées au cœur des enjeux sociaux. Cette tendance a été renforcée par le processus de métropolisation concentrant les principales fonctions urbaines, les flux de personnes, idées et marchandises, mais aussi les informations de toutes sortes. Or, il me semble utile de saisir l’intérêt des études urbaines sur le patrimoine et la culture dans des villes jugées secondaires. Les grandes villes sont réduites à gérer de plus en plus des établissements culturels coûteux et dont les coûts financiers croissants empêchent probablement l’alternative d’une démocratie culturelle [22]. Or les agglomérations de moindre importance sont peut-être les lieux propices à des innovations culturelles et patrimoniales. Avec la crise du Covid, le modèle métropolitain semble en difficulté et il paraît opportun de s’interroger sur le regain d’intérêt que suscitent les villes moyennes et la manière dont elles en tirent profit.

AUTEUR
Alain Chenevez
Maître de conférences HDR en socio-anthropologie
Université de Bourgogne, LIR3S-UMR 7366

ANNEXES

NOTES


[1] Charles Ambrosino, Vincent Guillon, « Les tournants culturels des sociétés urbaines », dans Géraldine Djament-Tran et Philippe San Marco [dir.], La métropolisation de la culture et du patrimoine, Paris, Le Manuscrit, 2014.
[2] La création de la Cité de la gastronomie et du vin est associée à l’inscription des Climats de Bourgogne à l’Unesco. Elle est menée parallèlement à une ambitieuse rénovation du Musée des Beaux-Arts.
[3] Régis Neyret, Le patrimoine atout du développement, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1992.
[4] Eva Illouz,Les marchandises émotionnelles. L’authenticitéau temps du capitalisme, Paris, Premier Parallèle, 2019.
[5] Les travaux de recherche menés sur le quartier de Lyon-Confluence ont donné lieu à la réalisation en 2009 d’un documentaire audiovisuel : Alain Chenevez, Confluence : le rêve métropolitain, Lyon : Annexe 8, Musées Gadagne, 2009. Disponible en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=bFA_mtE_9Bw  
[6] Face à la perte d’attractivité de nombreuses communes, l’État lance depuis 2020 un programme de revitalisation des centres-bourgs, visant à réaffirmer leur l’identité et relancer l’habitat, le travail et la consommation. Voir en ligne : https://www.cohesion-territoires.gouv.fr/revitalisation-des-centres-bourgs
[7] Norbert Bandier, « Perry Anderson, “Les Origines de la postmodernité”. Les Prairies ordinaires, 2010 », Sociologie de l’Art, 2011/3 (OPuS 18), p. 117-127. En ligne : https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2011-3-page-117.htm
[8] La SEM Lyon-Confluence est une institution publique/privée dédiée à l’organisation du programme urbain Confluence.
[9] Maryannick Chalabi, Véronique Belle, Nadine Halitim-Dubois, Lyon le Confluent : derrière les voûtes, Lyon, Éditions Lieux dits, 2005.
[10] Site internet de la SEM Lyon-Confluence, onglet patrimoine. Consulté le 12 septembre 2010.
[11] Gilles Deleuze, Félix Guattari, Mille plateaux, Paris, édition de Minuit, 1980.    
[12] Paul Rasse, Le musée réinventé : culture, patrimoine, médiation, Paris, CNRS éditions, 2017.
[13] Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux. Économie, paysage, nouveaux modes de vie. Paris, Éditions du Seuil, 2021.
[14] Jean-Jacques Boutaud, « L’immatériel pour matière. Le repas gastronomique des français », dans Alain Chenevez [dir.],  L’invention de la Valeur Universelle Exceptionnelle de l’Unesco. Une utopie contemporaine,  Paris, L’Harmattan, 2014, p. 210-225.
[15] Hervé Marchal, Jean-Marc Stébé, La France périurbaine, Paris, Presses universitaires de France, 2018.
[16] Nicolas Navarro, « Les animateurs de l’architecture et du patrimoine au sein du label  “Ville et pays d’art et d’histoire” : construire une légitimité face aux acteurs des politiques publiques du patrimoine », In Situ, n° 30, 2016. En ligne :  https://insitu.revues.org/13660 .
[17] Jean-Pierre Saez, « De la participation », L’Observatoire, 2012/1 (n° 40), p. 1-2. En ligne : https://www.cairn.info/revue-l-observatoire-2012-1-page-1.htm
[18] Serge Chaumier et Isabelle Roussel-Gillet, « Le goût des musées », Culture & Musées, n° 38, 2021, p. 282-283.
[19] Jean-Marc Stébé et Hervé Marchal, « Introduction », dans Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé [dir.], L’essor des biens communs. Une analyse pluridisciplinaire des communs , Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 7 septembre 2021, n° 15, disponible sur :  http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html .  
[20] Nathalie Heinich, Des valeurs : une approche sociologique, Paris, Gallimard, 2017.
[21] Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement : une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017.
[22] Fabrice Raffin, « La culture ce n’est pas que de l’art », Libération, 13 août 2014.

RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Alain Chenevez, « Le fait culturel et patrimonial dans la ville contemporaine : entre mythes mobilisateurs et recherche de nouvelles urbanités », dans Espaces, territoires et identités : jeux d’acteurs et manières d’habiter, Hervé Marchal [dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 4 mai 2023, n° 19, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC.html.
Auteur : Alain Chenevez
Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/TC/credits_contacts.html
ISSN : 1961-9944

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